Projet de loi sur les Métropoles: un outrage à la République

disparition_des_elus_de_proximite_0Intervention d’André Chassaigne à l’Assemblée nationale le 10 décembre 2013:

Mesdames les ministres, chers collègues, je le dis avec gravité, en pesant mes mots : ce projet de loi est un outrage à la République.
Il organise un bouleversement institutionnel sans précédent qui accroîtra les inégalités entre nos territoires et remettra donc en cause les principes constitutionnels d’unité et d’indivisibilité de la République et d’égalité des citoyens devant la loi.
Dans la droite ligne de la loi du 16 décembre 2010, votre réforme poursuit et aggrave la mise en concurrence des territoires, la casse de la démocratie locale et l’écrasement du pluralisme.
Je le dis pour éviter que vous puissiez m’applaudir un peu trop, chers collègues de l’opposition.
Ce projet de loi n’est pas qu’un texte technique : il déploie toute une vision du monde, celle qui inspirait déjà la réforme Balladur-Sarkozy de 2010, celle du libéralisme triomphant, celle de la rupture radicale avec l’organisation de notre république telle que nous l’avons héritée de la Révolution française.

Alors que les révolutionnaires de 1789 fondaient l’égalité territoriale sur la commune, le département et la nation, ce projet, quant à lui, promeut l’Europe, les intercommunalités obligatoires et les métropoles. Il ne constitue pas un texte de décentralisation. Mme la ministre ne songeant d’ailleurs plus guère à le présenter ainsi. L’objectif qu’il poursuit est clair : étendre l’austérité budgétaire à chaque parcelle de nos régions. Il s’agit de réorganiser entièrement l’action publique, c’est-à-dire ses structures et ses procédures, pour parvenir à la réduction de la dépense publique et répondre ainsi aux injonctions de la Commission européenne.

L’évaporation des communes et des départements dans l’intercommunalité forcée et les métropoles participe de ce funeste dessein qui provoquera l’assèchement de nos territoires, l’étouffement de nos collectivités et, donc, une recentralisation brutale.

Si votre loi passe, alors, le temps des grands ensembles technocratiques sera venu.

Avec ce projet de loi, vous accouchez en effet d’un monstre institutionnel : la métropole. Ce n’est pas une inconnue, car elle était déjà au cœur de la réforme de la droite en 2010 mais vous allez beaucoup plus loin que nos adversaires d’hier. En effet, la métropolisation que vous défendez, loin d’être simplement l’agrandissement du territoire urbain, signe l’acte de décès des communes (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), en cause les territorialités façonnées par notre histoire et jusqu’à présent structurantes de la citoyenneté. Elle congédie le maire, pourtant l’élu préféré des Français, hussard noir de la démocratie locale.

Elle répudie le pouvoir municipal, instance de pilotage des projets de proximité essentiels à la vie de nos concitoyens. Elle marche sur les élus locaux et les populations qui n’auront aucun avis à donner car, comme le rappellera mon collègue Marc Dolez dans la discussion des articles, les EPCI à fiscalité propre formant un ensemble de plus de 400 000 habitants qui, soit se situent dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants, soit comprennent dans leur périmètre le chef-lieu de région, seront automatiquement transformés en métropoles, sans le moindre vote.

Toutes les compétences acquises librement par un EPCI avant sa transformation ou sa fusion au sein de la métropole seront transférées de plein droit à cette dernière.

En outre, les métropoles bénéficieront de transferts de compétences des communes en matière de développement et d’aménagement économique, social et culturel en matière d’aménagement de l’espace métropolitain, en matière de politique locale de l’habitat, en matière de politique de la ville, en matière de gestion des services d’intérêts collectifs, en matière de protection et de mise en valeur de l’environnement et en matière de politique du cadre de vie.

Les métropoles bénéficieront aussi de transferts volontaires de l’État, qui consisteront en pratique à de véritables transferts à la carte. C’est la remise en cause de la distinction entre l’habilitation générale de la collectivité à prendre en charge l’intérêt public local et le principe de spécialité qui caractérise les EPCI.

Cela veut dire que partout où se constitueront des métropoles, les communes et les départements seront amenés à disparaître de fait, aspirés par ces technostructures bureaucratiques.

Ce mouvement d’aspiration, ce mouvement de globalisation, ce mouvement de recentralisation se traduira par un effet de ciseaux. D’une part, la disparition des communes et des départements éloignera les élus des populations, puisque les métropoles urbaines seront de vastes aires urbaines indistinctes gérant des échelles de population massives. Ce sera donc la fin de la démocratie de proximité, cette démocratie de proximité que permettait le maillage de 36 000 communes et de 101 départements de notre République.

D’autre part, la mise en concurrence entre métropoles et l’austérité budgétaire dont la métropolisation est le masque empêcheront ces mêmes élus éloignés de répondre efficacement aux besoins des gens. Cette double spirale nourrira la défiance du peuple envers la démocratie avec tous les risques que cela comporte dans la période que nous traversons.

En effet, cette métropolisation, dont les deux principaux partis font l’éloge vibrant, a-t-elle pour objectif de tenir compte du fait métropolitain ? S’agit-il de réduire les fractures terribles qui se creusent dans les grandes concentrations urbaines ? L’enjeu est-il de désenclaver les territoires sinistrés ?

De casser les ghettos ? De dynamiser les zones rurales ?

J’en entends un qui semble bien connaître les zones rurales…

M. Alexis Bachelay. J’y ai de la famille !

M. André Chassaigne. N’est-ce pas vous qu’un jour, j’ai appelé M. Personne habillé en dimanche ?

S’agit-il de préserver tel quartier, tel parc ou tel bord de mer ? En aucun cas. Votre métropolisation ne se donne pour but que de concentrer un peu plus les richesses sur les territoires les plus riches pour drainer les investissements vers les mégalopoles déjà attractives. L’unique enjeu est de constituer de gigantesques pôles de compétitivité afin que nos villes puissent concurrencer les autres mégapoles européennes.

Je laisse les aboyeurs continuer. Après, je pourrai peut-être reprendre le cours de mon propos.

M. Carlos Da Silva. Comptez sur nous !

Mme la présidente. Poursuivez, monsieur le président Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je relis le paragraphe puisque j’ai été interrompu par des aboiements.

Votre métropolisation, disais-je, ne se donne pour but que de concentrer un peu plus les richesses sur les territoires les plus riches pour drainer les investissements vers les mégalopoles déjà attractives. L’unique enjeu est de constituer de gigantesques pôles de compétitivité afin que nos villes puissent concurrencer les autres mégapoles européennes. Le bien-être des populations, qui devrait être notre seul aiguillon, n’a aucune place dans ce projet de loi. On n’y trouve guère que la compétitivité des entreprises, compétitivité érigée en seule motivation de l’ensemble des dispositions, comme en atteste l’exposé des motifs.

Votre projet de métropole du Grand Paris en apporte la triste démonstration. La création de cette entité apparaît clairement comme une tentative de mettre l’agglomération parisienne sous la coupe du bipartisme, pour ne pas dire du seul État PS, au détriment du pluralisme et de la démocratie locale.

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien ! Vous êtes en forme, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Anticipant sur les propos que tiendra mon collègue François Asensi au cours de nos débats, je rappelle que 75 % des élus de Paris métropole, représentant toutes les tendances politiques, ont exprimé leur refus de cette métropole anti-démocratique, autoritaire et inefficace.

M. Alexis Bachelay. Respectez les 25 % restant !

M. André Chassaigne. J’attends que l’aboyeur rentre dans sa niche pour continuer.

M. Alexis Bachelay. Cela existe, les niches parlementaires !

M. André Chassaigne. Métropole anti-démocratique d’abord, car les prises de décision se feraient à distance des citoyens concernés, avec le risque évident de méconnaître les réalités et les enjeux locaux. Alors que les Franciliens choisiront leurs maires en mars prochain, ces élus seraient ensuite dépossédés de leurs prérogatives, au mépris du suffrage.

M. Hervé Gaymard. Très bien !

M. André Chassaigne. Les maires seraient consultés une seule fois par an au sein de cette métropole,…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Une fois par an ?

M. André Chassaigne. …sans disposer d’un avis impératif sur les projets concernant leur ville.

Les conseillers communautaires disposeraient, quant à eux, d’un mandat à durée déterminée prenant fin en 2016. La création de ce nouvel échelon institutionnel en Île-de-France nécessite de consulter les citoyens par référendum. Si vous estimez que ce projet de métropole du Grand Paris constitue une avancée, pourquoi redouter l’avis du peuple ?

Métropole autoritaire, ensuite, car les communes se voient déposséder de leurs compétences stratégiques sur l’urbanisme, sans avoir leur mot à dire sur les projets d’aménagement que la métropole pourrait décider sur son territoire. C’est la porte ouverte à la construction de nouveaux grands ensembles dans les banlieues populaires, là où le foncier est moins cher, contre l’avis des villes et des habitants.

M. Alexis Bachelay. Mieux vaut être sourd que d’entendre cela !

M. André Chassaigne. La métropole risque de reproduire les erreurs urbanistiques des années 1960 et 1970, dont nous payons encore le prix.

M. Patrick Devedjian. C’est vrai !

M. Jean-Frédéric Poisson. Il a raison !

M. André Chassaigne. Où est donc la modernité, dans ce retour à une gestion hypercentralisée ?

Métropole autoritaire, toujours, car les dix-neuf intercommunalités de petite couronne seraient purement et simplement supprimées, et avec elles le long travail de coopération entre les villes, qui commençait à donner ses premiers fruits avec l’émergence de véritables dynamiques de territoires. Citons, parmi d’autres, le dynamisme de l’intercommunalité de Plaine-Commune, autour de Saint-Denis,…

M. Carlos Da Silva. Au hasard !

M. André Chassaigne. …celui de Seine-Amont, autour d’Ivry, ou encore l’essor de Terres-de-France autour de l’aéroport de Roissy.

M. Jean-Frédéric Poisson. Voilà des exemples bien choisis, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Je les ai pris au hasard, bien évidemment. À terme, et cette majorité ne s’en cache pas, c’est l’existence même des départements qui est dans le viseur, pour réduire encore plus la dépense publique.

Métropole inefficace, enfin, car ce que vous projetez est une véritable usine à gaz. Cette métropole du Grand Paris ne réglerait rien aux problèmes des Franciliens. Rien n’est prévu pour mettre un terme à l’asphyxie des transports en commun et mettre en place une gouvernance plus efficace. Rien n’est prévu pour lutter réellement contre les terribles inégalités entre les territoires. Les seules dispositions concernant la solidarité financière entre les départements, insuffisantes au demeurant, ont été renvoyées en loi de finances, ce qui démontre qu’il n’est pas besoin d’une métropole pour renforcer la péréquation.

M. Jean-Frédéric Poisson. Ce n’est pas faux !

M. André Chassaigne. Avec ce chamboulement institutionnel, qui comporte de nombreuses zones d’ombre, les grands projets en cours d’élaboration par les intercommunalités risquent d’être purement et simplement gelés pendant plusieurs années, au détriment du développement de l’Île-de-France et de la création d’emploi. Comment voulez-vous que les acteurs économiques publics et privés investissent dans un contexte aussi incertain ? Malgré l’opposition forte des élus locaux et celle qu’exprimeraient probablement les populations si l’on consentait à les consulter par référendum, le Gouvernement semble décidé à passer en force coûte que coûte.

Souvenons-nous qu’en juillet dernier, dans la torpeur de l’été, vous aviez déposé, la veille de l’examen du texte en commission, un amendement réécrivant de fond en comble le statut et les attributions de cette métropole. La méthode n’a pas changé depuis. Le Gouvernement a en effet écarté d’un revers de main en deuxième lecture les propositions des sénateurs visant à conforter le rôle des communes, notamment pour qu’elles ne soient pas totalement dessaisies de leurs prérogatives sur l’aménagement et les plans locaux d’urbanisme. Une nouvelle fois, un amendement en commission a totalement remanié le texte, pour réintroduire les dispositions les plus scélérates (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.) de la métropole du Grand Paris.

Pour reprendre votre formulation, madame la ministre, il a fallu reconstruire le projet, avec un objectif prioritaire : la compétitivité, toujours la compétitivité. C’est décidément une obsession ! Ses compétences ont été encore élargies. La suppression des EPCI a été confirmée pour mettre en place des conseils de territoire, véritables coquilles vides, d’un point de vue décisionnel, aussi bien que budgétaire et démocratique.

Nous l’affirmons : cette métropole du Grand Paris constitue un projet réactionnaire, parce qu’il acte le désengagement de l’État et la mise en concurrence des territoires, au détriment de la solidarité. Nous pensons que les enjeux de la région Île-de-France…

M. Alexis Bachelay. Que vous connaissez bien !

M. André Chassaigne. …méritent une autre vision de la métropole. Aussi défendons-nous une métropole polycentrique, solidaire, durable et démocratique, fondée sur les dynamiques de territoires existantes. La région Île-de-France dispose d’un potentiel humain extraordinaire, qui est aujourd’hui étouffé par les inégalités territoriales.

M. Alexis Bachelay. Absolument !

M. André Chassaigne. La métropole Aix-Marseille-Provence n’est pas, hélas ! moins représentative de l’entêtement du Gouvernement. Elle est symptomatique du caractère antidémocratique de votre démarche métropolitaine. Elle signe une vision de l’aménagement qui s’impose de haut en bas, où des technocrates veulent avoir raison en lieu et place de ceux qui sont sur le terrain, dans les communes et les quartiers, en lieu et place de ceux qui connaissent le mieux la situation et les besoins de la population. Vous leur opposez sans relâche, de façon très autoritaire, que l’avenir vous donnera raison. Quelle raison ? La raison du plus fort ? Mais celle-là, les citoyens de ce département n’en veulent pas !

En refusant en première lecture tout amendement à l’article 30, qui instituait cette métropole, vous avez ajouté un déni de démocratie à ce texte, qui en comporte déjà beaucoup. Comment accepter la situation que vous avez créée dans le département des Bouches-du-Rhône ? Comment accepter, alors que 109 maires sur 119, cinq présidents d’EPCI sur six, et sept sénateurs sur huit sont contre l’instauration à marche forcée de cette métropole, que vous n’en teniez pas compte ?

Ces élus, madame la ministre, vous ont fait, depuis des mois, des propositions alternatives équilibrées. Ces élus, de toutes tendances politiques, et majoritairement soutenus par les populations, se voient pourtant superbement ignorés. Jamais, et je pèse mes mots, jamais nous n’avons connu un État qui passe à ce point en force et méprise autant les représentants du peuple ! Qui peut croire une seconde que cette métropole va pouvoir se mettre en place sereinement face à un tel front de refus ? Qui peut croire qu’avec une telle attitude vous allez créer les conditions du développement du territoire marseillais ? Personne, et pas même vous, sans doute…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Si, moi j’y crois !

M. André Chassaigne. Un rapport de l’OCDE sur les potentialités de cette aire métropolitaine a été publié la semaine dernière. Vous vous en êtes opportunément emparée, pour essayer de renforcer la prétendue nécessité de cette structure centralisée. Mais que dit au juste ce rapport ? Rien d’autre que ce que les élus de ce département disaient déjà. Mon collègue Gaby Charroux le soulignait lors de la première lecture : vous avez noirci le tableau en agitant le spectre de la fuite de l’emploi, alors que le niveau de création d’emploi de l’aire métropolitaine marseillaise est supérieur à ceux de Gènes ou de Barcelone. Les problèmes auxquels sont confrontés les habitants de Marseille et de sa périphérie sont dus au retard immense pris par cette ville et aux choix urbains, économiques et sociaux désastreux de ces quarante dernières années. Je pense notamment à la désindustrialisation de la ville, et tout particulièrement de son port.

Le rapport de l’OCDE insiste sur trois questions : les transports, le développement économique et l’environnement. Ces trois compétences ont d’ailleurs été citées par M. le Premier ministre lors de sa visite à Marseille le 8 novembre. Mais dans ces trois domaines, tout le monde est d’accord pour agir collectivement et pour que l’État prenne toutes ses responsabilités, en n’oubliant pas que l’emploi industriel est le moteur du développement et que les dossiers de Kem One, du raffinage, de LyondellBasell à Berre, des Fralib à Gémenos, d’Ascométal à Fos sont majeurs dans la perspective d’un développement économique porteur. Ces dossiers-là ne seront pas réglés par la métropole, mais bien par la volonté de faire des choix courageux pour une ambition industrielle forte !

De même, le développement des transports dans ce territoire passe par le ferroviaire et nous nous félicitons de l’annonce d’un investissement de 2,5 milliards d’euros pour la réalisation d’une deuxième gare en souterrain à Marseille. Permettez-moi cependant de vous rappeler que, jusqu’à nouvel ordre, le transport de voyageurs par train n’est pas une compétence des métropoles, mais bien des régions !

Et nous ne sommes pas à une erreur de communication près sur ce département. J’ai déjà évoqué la visite du Premier ministre à Marseille le 8 novembre. À cette occasion, il a fait plusieurs annonces, dont deux ont particulièrement attiré notre attention. Il a dit, d’abord, que rien ne pourra se faire sans les maires.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est sûr !

M. André Chassaigne. Sage résolution ! Mais pour respecter ce vœu, le chemin risque d’être sinueux, au vu du rapport de force actuel ! D’autant que moins d’un mois après cette promesse, les maires et les présidents d’agglomération ont appris que, par un amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2013, les 500 000 euros nécessaires à la préfiguration de la métropole seront ponctionnés autoritairement sur la dotation aux EPCI. Cela signifie que vous faites les poches des citoyens des intercommunalités qui ne veulent pas de cette métropole pour mieux la mettre en place. C’est très significatif de l’ensemble de votre construction métropolitaine autoritaire.

Le Premier ministre a également déclaré que les métropoles ne sont pas là pour agir sur ce qui marche, mais sur ce qui ne marche pas, avant de citer le cas des transports, du développement économique et de l’environnement. Il a même été plus loin, puisque, en répondant à un habitant dans une interview publiée le même jour, il a affirmé que la compétence de l’eau a vocation à rester en proximité. Il a rappelé qu’à Nantes, celle-ci est gérée en régie publique, que les citoyens en sont satisfaits et qu’il n’y a aucune raison de changer cela. Dont acte ! Sauf que le texte de loi que nous examinons ici, et dont l’article 30 est bloqué, prévoit que cette compétence soit au contraire autoritairement transférée à la métropole, sans aucune possibilité de la laisser en gestion communale ou intercommunale. Il semble que ce gouvernement connaisse sur ce point un tout petit problème de cohérence. Mon collègue Gaby Charroux a donc interrogé M. le Premier ministre à la préfecture des Bouches-du-Rhône, puis dans cet hémicycle, afin de savoir comment le Gouvernement comptait mettre en conformité ses paroles avec la loi.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. On va y arriver !

M. André Chassaigne. Madame la ministre, je souhaite que vous nous éclairiez sur cette question qui concerne la compétence de l’eau comme celles de la gestion des déchets, du foncier, et toutes les compétences de proximité qui, si j’en crois le propos du Premier ministre, ne sont plus l’affaire des métropoles.

Serions-nous en train de voter un texte de loi qui ne coïncide plus avec la philosophie du Gouvernement ? Si tel est le cas, les députés du Front de gauche vous demandent solennellement de retirer ce texte et de mettre en débat, à l’échelle du pays, les contours de la décentralisation dont nous avons besoin aujourd’hui. Car le reste du texte pose les mêmes problèmes, comme le montre son article 31, qui définit les compétences des métropoles de droit commun, comme celle de Nantes ou de Lille, celle de Toulouse ou de Strasbourg.

En la matière, permettez-moi de rappeler ici la définition qui figure à l’article L. 5211-1 du code général des collectivités territoriales : la coopération intercommunale « se fonde sur la libre volonté des communes d’élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité ». Nous sommes loin du compte !

Ce projet de loi oublie l’essentiel parce qu’il oublie le peuple. Mais c’est aussi un projet qui vise à accompagner la politique de saignée austéritaire mise en place par le Gouvernement.

Nos collectivités représentent 20 % de l’activité économique du pays et 70 % de l’investissement public. Alors qu’elles constituent un véritable bouclier anti-crise, alors qu’elles sont tenues de voter un budget en équilibre réel, vous prétendez, comme la droite hier, qu’elles représentent un coût et des dépenses inefficaces.

M. Yannick Moreau. Il a raison !

M. André Chassaigne. La vérité, c’est que votre réforme vient parachever tout un plan de laminage de nos collectivités. Elle prépare un chambardement inédit pour les millions d’agents de la fonction publique, celle de l’État comme la territoriale. De nouvelles mutualisations sont annoncées, comme dans la réforme de la droite en 2010. Elles se traduiront par des services de proximité transformés en guichets à la personne, par des services transférés à des échelons éloignés de l’usager, par des réductions progressives d’effectifs à tous les niveaux, par des déménagements contraints pour les agents publics, à l’instar de ce qui s’est produit à France Telecom.

Ainsi, d’après le quotidien Le Monde du 29 novembre, « la « remise à plat » de la fiscalité annoncée par Jean-Marc Ayrault augure d’un serrage de vis sans précédent des collectivités territoriales, bien au-delà de la simple diminution des dotations de fonctionnement […] » Il s’agit bien évidemment de la diminution de 1,5 milliard d’euros par an pendant trois ans.

Dans ce même article, il est fait état de la possible instauration de « plafonds d’emplois territoriaux » pour obliger les collectivités à supprimer des postes. Il s’agit d’un « système de bonus-malus selon que les collectivités territoriales respecteraient ou non » des normes de dépenses de fonctionnement. Une proposition formulée par Gilles Carrez il y a cinq ans, que le président Sarkozy n’avait pas osé appliquer, et qui risque de devenir réalité sous ce gouvernement.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Cela a été démenti !

M. André Chassaigne. De la sorte, les collectivités qui ne réduiraient par leur niveau d’emploi pourraient subir une baisse de DGF. Celles qui réduiront les postes, au contraire, bénéficieraient de bonus de dotation ! Les mutualisations et autres réorganisations de service portées par ce projet de loi, comme par la réforme Sarkozy-Balladur de 2010, sont un des aspects de cette réalité destructrice.

Citons à nouveau l’article du Monde : « La RGPP mise en œuvre sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, puis la modernisation de l’action publique – MAP – lancée par l’actuel gouvernement atteignent leurs limites, tant en termes de rendement que de méthodologie. « On a rogné sur tout ce qu’on pouvait ou presque », reconnaît-on à Matignon. « Plus le temps passe, plus la dette publique augmente, plus on est obligé d’afficher des réductions de dépenses publiques importantes. » »

L’objectif imposé par Bruxelles est de réduire la dépense publique de 60 milliards d’euros d’ici à la fin du quinquennat. Dès lors, nous comprenons pourquoi ce projet de loi oublie l’essentiel, le peuple, et ne contient pas un mot sur les besoins des habitants. Pas un seul mot sur les besoins des habitants !

Et de fait, les citoyens ne sont pas demandeurs de cette politique. Ils n’ont pas voté pour ce changement-là.

En outre, il convient de rappeler que lors des états généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat en octobre 2012, plus de 20 000 élus locaux, souvent très critiques à l’égard de la réforme de 2010, ont réaffirmé leur indéfectible attachement à la commune et la nécessité de respecter chaque niveau de collectivité et d’évaluer les différentes lois de décentralisation avant de procéder à toute nouvelle réforme.

M. Marc Dolez. C’est vrai !

M. André Chassaigne. Or, dans votre réforme, vous balayez d’un revers de main l’essentiel de ces préoccupations et vous vous inscrivez au contraire dans le droit fil de la stratégie de Lisbonne, de la Charte européenne, du Livre blanc de la gouvernance et du Traité européen de stabilité que François Hollande avait promis de renégocier. Autant de conventions qui, nous le savons parfaitement, n’ont pas l’aval des Français. Ceux-ci avaient opposé un « non » cinglant à cette Europe lors du référendum sur le traité constitutionnel de 2005. Autant de traités qui ne sont aujourd’hui en vigueur que par la responsabilité des parlementaires des deux partis majoritaires, qui ont prêté main-forte, ou main molle, à leur adoption contre l’avis du peuple.

Quel fil rouge relie ces différentes injonctions ? Elles nous intiment toutes de favoriser les fusions entre collectivités afin de réduire considérablement leur nombre, ce qui représente la solution la plus simple pour réduire le volume des budgets et des emplois publics,

Je cite les recommandations de la Commission européenne s’agissant du budget de la France pour 2013 : « Il est particulièrement important que le budget 2013 soit rigoureusement exécuté et que des efforts d’assainissement substantiels soient résolument poursuivis les années suivantes. Il est impératif notamment que les dépenses publiques de la France croissent beaucoup moins vite que le PIB potentiel, dans la mesure où les améliorations du déficit structurel ont jusqu’à présent reposé principalement sur les recettes. À cet égard, l’examen en cours des dépenses publiques – « Modernisation de l’action publique » –, qui concerne non seulement l’administration centrale mais aussi les administrations des collectivités locales et de la Sécurité sociale, devrait indiquer comment améliorer encore l’efficacité des dépenses publiques. Il est également possible de rationaliser davantage les différents niveaux et compétences administratifs afin d’accroître encore les synergies, les gains d’efficacité et les économies. La nouvelle loi de décentralisation prévue devrait traiter cette question. »

Le changement qu’on nous promettait, en voilà la véritable teneur : c’est un quinquennat de larmes ! Car ce recul de la présence publique dans nos territoires n’a qu’un seul but : diminuer les services publics, c’est-à-dire l’accès de tous, notamment des plus pauvres, à des services et des aides financés collectivement. C’est le privé qui récupérera tous les marchés ouverts par le recul du public. Les grands groupes, avec leur obsession du profit et de la rentabilité, obtiendront la marchandisation de tout ce qui échappait encore à leur cupidité. C’est un recul de civilisation.

M. Michel Piron. Oh là là !

M. André Chassaigne. La réalité de votre projet, c’est l’appauvrissement des pauvres et l’enrichissement des riches. Car les politiques d’austérité en font la preuve partout en Europe : elles y font progresser massivement la pauvreté. Oui, dans l’un des continents les plus riches du monde, les effets des diktats de la Commission européenne – cette secte ultralibérale au service de la seule finance – sont tels que l’exclusion sociale guette près du quart des Européens, soit plus de 124 millions de personnes.

Voilà dans quelle spirale infernale vous jetez le pays. Voilà ce qu’est ce projet de loi : la réponse servile que fait le Gouvernement aux exigences d’une Commission européenne qui n’a aucune légitimité démocratique, et qui saigne à blanc nos États.

Sur le terrain, le parti communiste et le Front de gauche sont aujourd’hui les fers de lance de la résistance à ces logiques technocratiques et austéritaires. Mais je veux me faire plus largement le porte-voix de tous les élus locaux, ceux du Front de gauche et les autres, de toutes les composantes de l’arc républicain, ces élus qui refusent la voie de garage de la recentralisation et de l’austérité.

Avec nous, ces élus et ces citoyens disent non à la mort programmée des communes.

Avec nous, ils disent non à cette politique qui ressemble de plus en plus à du thatchérisme appliqué à nos territoires.(« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Avec nous, ils disent leur vive inquiétude pour l’avenir de leurs villages et de nos campagnes face à la désertification du pays. Avec nous, toujours avec nous, ils sont d’une inquiétude extrême.

Ces élus, dont nous sommes, considèrent que la décentralisation doit être organisée en fonction du principe de proximité, afin que les décisions publiques aillent toujours dans le sens de l’intérêt général.

Ces élus, dont nous sommes, font le choix du développement des coopérations et non de l’intercommunalité à la hache et à coup de trique.

Ces élus, dont nous sommes, refusent la mise en concurrence des territoires, la cassure entre zones urbaines et rurales, les disparités territoriales et l’avènement d’une République à la carte.

M. Yannick Moreau. Ils refusent la réalité !

M. André Chassaigne. Ces élus, dont nous sommes, refusent un pays aux territoires illisibles et inégalitaires, comme sous l’Ancien régime.

Ces élus, dont nous sommes, considèrent que l’autonomie des collectivités territoriales devrait être assurée grâce à l’actualisation du principe de libre administration contenu dans la Constitution et à une réforme de la fiscalité locale faisant participer les actifs matériels et financiers des entreprises.

Ces élus, dont nous sommes, revendiquent une véritable décentralisation démocratique, fondée sur la souveraineté populaire, le contrôle citoyen, l’égalité de traitement, la coopération entre les collectivités et la solidarité entre les territoires et les populations.

Ces élus, dont nous sommes, estiment que toute nouvelle entité administrative intercommunale devrait répondre aux besoins des administrés et constituer une démarche volontaire, transparente et compréhensible, et non résulter d’un rapprochement autoritaire de communes sans projets communs, répondant exclusivement aux exigences de compétitivité et d’austérité.

Ces élus, dont nous sommes, considèrent que les populations devraient être consultées sur l’organisation des territoires dans lesquels ils vivent au quotidien. Ils demandent l’organisation d’un référendum dès lors qu’il est envisagé de créer une métropole, une nouvelle collectivité dotée d’un statut particulier, ou de modifier le périmètre d’une collectivité ou d’un EPCI existants.

Nous demandons à tous les républicains, où qu’ils siègent, de joindre leurs voix aux nôtres pour détricoter ensemble ce projet de loi.

Nous demandons au Gouvernement de prendre le temps d’une concertation réelle, avec les citoyens comme avec les élus. Nous le demandons afin que personne ne puisse se retrouver, comme le poète Louis Aragon, « en étrange pays dans [son] pays lui-même ». (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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