La situation du service public
Une exception française : l’existence d’un service public, pôle de résistance au marché
Le problème que rencontre le pouvoir sarkozyste c’est l’existence en France de 5,2 millions de fonctionnaires (dont 1,8 million dans la fonction publique territoriale), plus un million dans les entreprises publiques et un autre million de salariés sous missions de service public. Nous célébrons cette année le 25° anniversaire de la FPT, fondée comme l’ensemble de la fonction publique sur les principes républicains d’égalité d’indépendance et de responsabilité caractéristique de la conception du fonctionnaire citoyen. C’est cette réalité, qu’il regarde comme une anomalie, que le pouvoir veut faire disparaître.
D’où l’offensive qu’il a lancée contre le service public et la fonction publique
Je veux tout d’abord rappeler que ces attaques ne datent pas de l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, avec la loi Galland en 1987, le changement de statut de La Poste et de France Télécom en 1990, le rapport du Conseil d’État proposant un modèle tout différent de la fonction publique en 2003. À cet égard relevons que lorsque la gauche est revenue au pouvoir après les phases de cohabitation, elle n’a jamais annulé les atteintes portées au service public, à la fonction publique.
Dans la FPT, 34 000 créations d’emplois sont intervenues en 2008 contre 36 000 suppressions dans la FPE. Ce constat a été regardé comme scandaleux par le président de la République. Cette politique pourrait être caractérisée par « moins de tout » : élus, fonctionnaires, juges … Il n’agit pas toujours directement, mais de plus en plus indirectement en suscitant des propositions de loi émanant de sa majorité parlementaire : proposition de loi de Jean-Pierre Gorges sur le contrat comme règle et le statut comme exception, limité aux fonctions régaliennes ; proposition de loi de Jean-Frédéric Poisson sur la marchandisation des emplois entre collectivités territoriales et entreprises privées ( dans le même esprit que les récentes lois sur la modernité et la mobilité).
En ce qui concerne les conséquences que l’on peut envisager de l’application directe de la réforme des collectivités territoriales, la création des métropoles va avoir pour effet de développer la fonctionnalisation en marge du statut, la contractualisation sous différentes formes, de fortes inégalités dans le régime indemnitaire. Les effets des regroupements des communes, des départements et des régions iront vraisemblablement dans le même sens. La suppression de la clause de compétence générale, comme les diverses formes de regroupement des collectivités ne peuvent avoir qu’un effet négatif sur l’emploi.
Aujourd’hui des voix s’élèvent pour présenter la FPT comme avenir de la fonction publique dans son ensemble et spécialement de la FPE (par exemple, Olivier Schrameck dans La Gazette des communes du 26 janvier 2009). Cette référence au versant de la fonction qui a été le plus dénaturé n’est pas souhaitable, car elle reviendrait à entraîner l’ensemble des fonctionnaires vers une fonction publique d’emploi, avec plus de précarité, alignée sur le modèle dominant des fonctions publiques dans l’Union européenne.
Quelle peut être l’attitude des élus devant une telle situation et face à cette évolution ? Question délicate mais qu’il faut bien poser. L’adoption du statut de la FPT en 1983-1984 n’a pas été accueillie avec enthousiasme par les associations d’élus qui y ont vu, pour plusieurs d’entre elles, le risque d’un contre-pouvoir statutaire dans leur collectivité. Leur réaction au moment de la loi Galland en 1987 a été à peu près nulle. Aujourd’hui, lorsqu’il est question de la réforme des collectivités territoriales est évoquée, la situation des fonctionnaires est rarement traitée, comme s’il y avait d’un côté les élus et de l’autre les citoyens, en ignorant les 1 800 000 fonctionnaires sans lesquels il n’y aurait pas de services publics territoriaux. Or, je ne pense pas que l’on puisse faire échec à la politique sarkozyste concernant la réforme des collectivités territoriales sans l’action conjuguée des élus, des fonctionnaires territoriaux et de l’opinion publique.
C’est sur cette base que doit être conduite la contre-offensive nécessaire
Le président de la République avait annoncé qu’il avait l’intention de réaliser dans la fonction publique une véritable « Révolution culturelle ». Il avait diligenté à cet effet le livre blanc de Jean-Ludovic Silicani. Il n’en est plus question, pourquoi ? Parce qu’entre temps est intervenue la crise financière qui a révélé le service public et plus spécialement la fonction publique dans notre pays comme un « amortisseur social » du point de vue du pouvoir d’achat (donc de la consommation), de l’emploi, de la protection sociale, du système de retraites et j’ajouterais également d’un point de vue éthique face à l’immoralité spectaculairement affichée par le système financier. Sans doute le sens de la politique du pouvoir reste-t-il le même, mais ses modalités seront plus ciblées (type lois sur la modernisation ou sur la mobilité ou encore les propositions de loi précitées). Il n’y aura donc pour l’instant ni « Révolution culturelle » ni « Grand soir statutaire ».
Il faut donc résister à toute nouvelle dégradation de la situation ds fonctionnaires territoriaux et veiller à consolider particulièrement la FPT « maillon faible » de la fonction publique « à trois versants » en raison des dénaturations qu’elle a subies ; défendre des valeurs du service public et de la fonction publique que j’ai énoncées ; faire des propositions concrètes, car un statut qui n’évolue pas, qui ne suit pas les évolutions de la société et des techniques risque la sclérose.
Dans le même temps doit être posée la question de l’amélioration de la condition salariale dans son ensemble car les fonctionnaires ne peuvent pas se désintéresser du statut de ceux qui n’ont pas de statut mais seulement des contrats de droit privé, c’est-à-dire soumis au rapport de forces entre employeurs et employés, jamais favorable à ces derniers dans la situation de chômage et de précarité que nous connaissons . C’est pourquoi doit être simultanément traitée la question d’un statut législatif du travail salarié permettant d’organiser une convergence progressive des actions revendicatives et des situations. Cette notion de statut du travail salarié étudiée par des chercheurs éminents comme Robert Castel (qui parle d’ « appropiation sociale ») ou des juristes comme Alain Supiot, rencontre la revendication générale d’un « nouveau statut dui travail salarié » portée par la CGT. Les fonctionnaires ne peuvent rester à l’écart de cette réflexion. Pas plus qu’ils ne peuvent rester en dehors de l’action pour un véritable « statut de l’élu » maintes fois annoncé (il figurait à l’article 1er de la loi de décentralisation du 2 mars 1982), jamais réalisé.
Défendre le service public et la fonction publique est une nécessité dans le cadre de l’action menée en faveur d’une organisation territoriale démocratique, moderne et progressiste ; cette défense a marqué des points, par exemple avec le succès du vote sur le maintien du statut de La Poste comme service public entièrement possédé par l’État. Les péripéties qui marquent la mise en chantier des réformes présidentielles sur les collectivités territoriales et la fonction publique soulignent les possibilités de mise en échec (j’ai indiqué cette mise en échec concernant la « révolution culturelle » dans la fonction publique, mais on peut aussi relever les conflits au grand jour qui agitent la majorité sur la taxe professionnelle, le grand emprunt, etc.). Au-delà, de manière plus constructive, je pense que la France, l’Europe et le monde auront de plus en plus besoin de services publics en raison de la prise de conscience qui caractérise notre époque de l’unité de destin du genre humain : le XXI° siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public. C’est ce qui légitime par-dessus tout la justesse du combat mené aujourd’hui pour l’accomplissement de cette perspective.