La lettre de Michel Cialdella au Médiateur de France Télévision, le 9 novembre 2020 :
» Monsieur le Médiateur .
Ce soir sur la chaîne de télévision de France Info vers 18 heures on évoque le général De Gaulle. Pour se faire, la rédaction a invité une « historienne » du nom de Aurélie Luneau, qui nous a déversé un tombereau de contrevérités.
Par exemple : « on lui doit la Sécurité sociale ». Ce qui est une contrevérité absolue et démontrable par la chronologie. Car l’histoire se sont des faits et de la chronologie. De Gaulle pour sauver la France il a commencé par se sauver lui-même en Angleterre. Pourquoi pas !.
Mais De Gaulle n’est pour rien dans la création de la Sécurité sociale dont il n’a même pas signé les ordonnances. C’est son intérimaire Jean-Marcel Jeanneney qui l’a fait. Selon Pierre Laroque, De Gaulle était en Russie à ce moment-là.
Même s’il l’avait voulu il n’aurait pas pu. Désigné chef du gouvernement par l’assemblée constituante le 13 novembre 1945, il démissionnera le 20 janvier 1946 soit 108 jours après.
C’est parce que le parti communiste avait réalisé 26,2 % des voix à l’élection de l’assemblée constituante (devenant ainsi le premier parti de France) que le 21 octobre 1945, des ministres communistes font leur entrée au gouvernement. C’est Ambroise Croizat, ministre, qui mettra en place la Sécurité sociale avec l’aide de la CGT et des communistes. Le 20 mai 1946 A. Croizat créera le régime général.
De Gaulle n’aura de cesse d’attaquer cette grande conquête ouvrière. Et cela dès mars 1948 dans son discours de Compiègne ( voir chronologie ci-jointe).
Quant au vote des femmes, c’est grâce à un amendement du communiste Fernand Grenier, car De Gaulle avait « oublié … ».
Le journaliste Cyril Graziani n’est pas en reste, il prétend que De Gaulle quand il était au pouvoir, souhaitait beaucoup plus de nationalisations. Ce qui bien sûr est faux (voir la chronologie).
Par contre à De Gaulle on lui doit 10 millions de grévistes en 1968 que son mépris pour les travailleurs lui a fait baptiser la « chienlit ». Alors que la France connaît un mouvement de contestation historique, le général De Gaulle quitte discrètement le palais de l’Elysée, le 29 mai, provoquant interrogations et inquiétudes. On apprend un peu plus tard qu’il s’est rendu en Allemagne, à Baden-Baden, pour y rencontrer notamment le général Jacques Massu au PC des forces françaises en Allemagne, afin d’appeler l’armée à son secours ?
Mais il a aussi fait de bonnes choses : en mars 1966 il a fait quitter à la France le commandement intégré de l’OTAN, et le 1er avril 1967 fait évacuer de France les bases américaines. Mais de cela le service public de télévision n’en parle pas.
En espérant une rectification de la part de vos journalistes. Veuillez agréer Monsieur, mes salutations distinguées.
Michel Cialdella
Pour en finir avec : « Et De Gaulle créa la sécurité sociale ».
La chronologie met fin à cette fable.
Le programme de la Résistance est adopté le 15 mars 1944.
Celui-ci prévoyait un plan çomplet de sécurité sociale, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État.
Il restait à construire l’organisme. Ambroise Croizat ne part pas de rien puisque dès avril 1944, à Alger, il impulse un groupe de travail de l’assemblée consultative provisoire (1).
C’est un rapport présenté par Georges Buisson militant de la CGT (un peu oublié), qui constituera la base des ordonnances. Il est adopté par l’assemblée consultative provisoire le 31 juillet 1945, par 194 voix pour, et une voix contre (la droite). Mais il y a 84 abstentions : le M. R.P., la C.F.T.C et quelques radicaux. Ce qui invalide la thèse du consensus.
D’ailleurs la CFTC au niveau confédéral, refusera de participer à la mise en place de la Sécurité sociale.
Les ordonnances sont publiées les 4 et 19 octobre 1945. Elles sont signées par Alexandre Parodi. De Gaulle ne les signera pas. Selon Pierre Laroque il aurait été à Moscou ce jour-là.
Le 21 octobre 1945 élection de l’assemblée constituante. Les communistes obtiennent 26,2 % des voix et 159 députés. Le PCF devient le premier parti de France.
Le 13 novembre 1945 De Gaulle est élu chef du gouvernement par l’assemblée constituante.
Le 22 novembre 1945 soit 32 jours après la publication des ordonnances, Ambroise Croizat devient ministre du travail et de la Sécurité sociale. Il sera chargé de la mise en place de ce grand organisme.
La droite ne renonce pas et ne renoncera jamais. Le 22 décembre 1945 ( 79 jours après la publication des ordonnances) le MRP qui soutient De Gaulle, présente une proposition de loi qui a pour objet de modifier l’ordonnance du 4 octobre. On devine dans quel sens.
Le 20 janvier 1946 soit 108 jours après la publication des ordonnances, De Gaulle démissionne du gouvernement , il ne supporte pas de siéger avec quatre ministres communistes. Ce qui le met dans l’impossibilité de mettre en place la Sécurité sociale.
En 1948 dans son discours de Compiègne, De Gaulle met l’accent sur la nécessité de réduire les dépenses sociales en ces termes : réduire les dépenses de manière durable et effective ; cela comporte, en effet, la suppression de service entier, la mise en ordre radical des entreprises nationalisées, la réforme profonde du fonctionnement des assurances sociales (2). (que De Gaulle n’appellera jamais Sécurité sociale).
Le 30 décembre 1958 à peine revenu au pouvoir De Gaulle instaure par décret des franchises applicables au 1er janvier 1959. Ces franchises seront retirées en juillet de la même année grâce aux luttes syndicales.
Le 12 mai 1960 un décret du gouvernement De Gaulle organise par décret la mainmise de l’État sur la sécurité sociale.
En août 1967 les ordonnances De Gaulle – Jeanneney, mettront fin à 20 ans de gestion par les travailleurs (majoritairement par la CGT) de la Sécurité sociale en introduisant le paritarisme, qui de fait donne la majorité au patronat.
Voilà pour l’action de De Gaulle sur la Sécurité Sociale qu’il appellera toujours : les « Assurances sociales » et sans doute pas par hasard.
Dans un entretien à la revue le droit ouvrier, octobre 1995, Pierre Laroque directeur de la Sécurité sociale au ministère d’Ambroise Croizat dira : « le général De Gaulle ne m’a jamais parlé de sécurité sociale. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Il ne m’en a jamais parlé ».
Comme quoi le sujet ne l’intéressait pas vraiment.
Michel CIALDELLA
Ex administrateur de la CPAM de Grenoble
auteur de « La Sécurité Sociale une conquête en danger »
1) Ambroise Croizat ou l’invention sociale. Michel Etiévent. Éditions GAP-2012.
2) Yves Saint-Jours, traité de sécurité sociale : le droit de la sécurité sociale. LGDJ. 1984.